Jazz sous les pommiers 2025 – Arnaud a vu ! (2e partie)


Après un premier article consacré à ma découverte du festival Jazz sous les pommiers la semaine passée, voici cette semaine le compte rendu de mes trois soirées de concert à Coutances. Un concentré de jazz sous toutes ses formes et de belles surprises qui ont rendu l’expérience franchement sympathique.


Soirée 1 : Hiromi + Donny McCaslin & Ishkero (28 mai)


Ma première soirée à Coutances commence sur les chapeaux de roues avec une performance électrisante de l’inimitable Hiromi et Sonicwonder. En tournée pour la sortie de son dernier album, l’excellent Out There (2025), dont nous avons fait la critique il y a quelques semaines, la pétillante pianiste japonaise nous a fait vivre toute une gamme d’émotions. Son jeu à la fois acrobatique et survitaminé a empli la salle Marcel-Hélie d’une énergie contagieuse que ses musiciens n’ont pas manqué de lui rendre. Dans un quartet au casting redoutable – composé d’Adam O’Farrill à la trompette, Hadrien Féraud à la basse et Gene Coy à la batterie – la pianiste a fait une entrée fracassante, debout derrière son piano, en vraie show-woman.


Hiromi - Jazz sous les pommiers (photo : Francis Bellemy)

Hiromi – Jazz sous les pommiers @ Coutances (photo : Francis Bellemy)

Utopia – une cohésion exceptionnelle


Dès la première pièce, Utopia, le groupe affiche une cohésion exceptionnelle : un duo piano-basse suave ouvre la soirée, aussitôt rejoint par la trompette augmentée de textures électro d’Adam O’Farrill. Le bassiste livre ensuite un solo remarquable, alors que le batteur assure un groove millimétré. Mais c’est dans la suite Out There, en quatre mouvements et de près de quarante minutes, que le groupe atteint des sommets. Le morceau commence dans une atmosphère clair-obscur, avec des textures délicates et une lente montée en tension. Peu à peu, le quartet s’élève au son d’un groove hip-hop qui voit le trompettiste mettre le feu, avant de passer le relais à Hiromi, ses doigts dansant sur le clavier de son piano avec grâce et légèreté.


Hiromi @Jazz sous les pommiers (photo : Francis Bellemy)

Hiromi et Sonicwonder – Jazz sous les pommiers @ Coutances (photo : Francis Bellemy)


Pendulum – en rappel


En rappel, Hiromi revient seule sur scène pour interpréter Pendulum, offrant un vamp modal d’une simplicité envoûtante, en total contraste avec l’exubérance du reste de la soirée. Impossible de sortir d’un tel concert sans avoir un immense sourire collé aux lèvres.


Donny McCaslin et Ishkero – jazz fusion aux accents punk et électro


La seconde partie de la soirée nous transporte au Théâtre municipal de Coutances pour une rencontre intergénérationnelle fort prometteuse. Le grand saxophoniste Donny McCaslin s’associe aux jeunes pousses du quintet français Ishkero pour une soirée de jazz fusion aux accents punk et électro. Connu pour ses sonorités massives et ses inclinaisons rock, le saxophoniste insuffle dès l’ouverture une énergie dense, presque brute, à un répertoire entièrement constitué de ses propres compositions. Un terrain de jeu particulièrement fertile pour ses jeunes complices, qui s’en donnent manifestement à cœur joie.


Victor Gask, Donny McCaslin et Antoine Vidal - Jazz sous les pommiers @ Coutances (photo : Didier Eudes)

Victor Gask, Donny McCaslin et Antoine Vidal – Jazz sous les pommiers @ Coutances (photo : Didier Eudes)


La complicité est vive entre les musiciens d’Ishkero et leur prestigieux invité


L’ardeur du claviériste Arnaud Forestier éclate dès la deuxième pièce dans un solo monumental, pendant que la section rythmique — constituée du bassiste Antoine Vidal et du batteur Tao Ehrlich — groove sans relâche. Les solos de guitare (Victor Gasq) et de batterie qui suivent confirment eux aussi la richesse de cette rencontre, avant de passer à des paysages plus planants, où les nappes cosmiques du clavier contrastent avec le souffle terre-à-terre de Donny McCaslin. Tant dans les moments d’apaisement que dans les explosions sonores, la complicité est vive entre les musiciens d’Ishkero, qui se montrent amplement à la hauteur de leur prestigieux invité.


Arnaud Forestier et Tao Ehrlich – Jazz sous les pommiers @ Coutances (photo : Didier Eudes)


Soirée 2 : Rubacalba, Potter, Grenadier et Harland + Photons (29 mai)


Changement d’ambiance pour ma deuxième soirée au festival. Le quartet all stars de Gonzalo Rubacalba (piano), Chris Potter (saxophone), Larry Grenadier (basse) et Eric Harland (batterie) livre un concert magistral qui remplit une fois de plus la Salle Marcel-Hélie. Dès l’entrée en scène, le piano feutré et tactile de Gonzalo Rubacalba annonce la couleur : la magie est dans l’air. Le légendaire saxophoniste se joint au pianiste avec de superbes lignes improvisées, avant d’énoncer le thème de Five Hundred Miles High avec majesté. Véritable force tranquille, Eric Harland installe un tempo flottant, presque suspendu, qui fait naviguer les musiciens aux confins du swing et du free, jouant avec l’espace, le silence et de subtils enchevêtrements rythmiques.

Gonzalo Rubalcaba, Chris Potter et Larry Grenadier - Jazz sous les pommiers @ Coutances (photo : Didier Eudes)

Gonzalo Rubalcaba, Chris Potter et Larry Grenadier – Jazz sous les pommiers @ Coutances (photo : Didier Eudes)


State of the Union – Gonzalo incandescent et nos repères s’estompent


Le morceau suivant, State of the Union composé par Larry Grenadier, plonge l’auditoire dans une atmosphère plus intime, avant que la musique ne se resserre autour d’un Gonzalo Rubacalba incandescent. Peu à peu nos repères s’estompent : on cesse de chercher le tempo, de suivre les progressions harmoniques, pour s’abandonner complètement à la musique. Les musiciens, en parfaite symbiose, semblent être à l’écoute d’un rythme intérieur, insaisissable, qui se dérobe à la perception, mais nous entraîne malgré tout.


On quitte avec le sentiment d’avoir assisté à un grand moment musical


Puis à mi-parcours, le quartet bifurque en terrain familier avec une composition aux accents soul et bluesy, à laquelle le pianiste apporte une touche latine, insufflant au groove une densité charnelle. Ce virage agit comme une véritable bouffée d’air frais dans l’intensité du set, une respiration bienvenue qui révèle toute l’étendue de la palette musicale et expressive du quartet. Malgré un rappel un brin en retrait, on quitte avec le sentiment d’avoir assisté à un grand moment musical, où la virtuosité s’efface au profit d’un dialogue libre, instinctif et profondément humain.


Larry Grenadier et Eric Harland – Jazz sous les pommiers @ Coutances (photo : Didier Eudes)


Photons – un croisement halluciné entre E.S.T., Daft Punk et Aphex Twin, enrobé d’un vernis French Touch bien clinquant


La soirée se prolonge tard avec le trio Photons dans la salle Magic Mirrors (alias Le Bolero) transformé pour le coup en club électro-jazz. Ce changement de registre radical voit les textures électroniques dominer, même si les instruments sont bien acoustiques sur scène. Le résultat évoque un croisement halluciné entre E.S.T., Daft Punk et Aphex Twin, enrobé d’un vernis French Touch bien clinquant. Malgré un incident technique en milieu de set, le groupe reprend rapidement le fil avec une pièce à la fois sombre et groovy, saturée mais dansante, où les dissonances finissent par se fondre dans une masse sonore cohérente. En seconde moitié, l’ambiance monte d’un cran : le public se lève, le plancher vibre. La formation se mue en machine house, organique, hypnotique, et particulièrement efficace, à en croire la montée d’énergie du public à cette heure tardive.


Photons - Jazz sous les pommiers @ Coutances (photo : Clémence Goupillot)

Photons – Jazz sous les pommiers @ Coutances (photo : Clémence Goupillot)


Soirée 3 : Amaro Freitas Trio + Emile Londonien (30 mai)


Mon séjour à Coutances se conclut en beauté avec un concert pour lequel j’avais de grandes attentes. Quelques semaines après avoir salué dans nos lignes la parution de son excellent album Y’Y (2025), hommage vibrant à la forêt amazonienne et aux traditions afro-brésiliennes, je retrouve Amaro Freitas en trio sur la scène du Magic Mirrors. Originaire de Recife au Brésil, le pianiste impose d’emblée une présence magnétique. Dès les premières notes, son jeu percussif et narratif donne le ton d’un concert habité, aussi enraciné que transcendantal.



Amaro Freitas donne vie à une musique qui fusionne les influences du jazz moderne et des rythmes traditionnels du Brésil


Accompagné de ses fidèles complices Sidiel Vieira à la contrebasse et Rodrigo Braz à la batterie, Amaro Freitas donne vie à une musique qui fusionne les influences du jazz moderne et des rythmes traditionnels du Brésil – maracatu, frevo, baião – dans un langage éminemment personnel. À la manière d’un Thelonious Monk passé par les rituels amazoniens, il développe un discours pianistique libre, parfois fracturé, souvent lyrique, mais toujours en mouvement. Chaque morceau semble émerger d’un rituel, porté par une dynamique collective impressionnante où les silences résonnent autant que les impacts.


Amaro Freitas – Jazz sous les pommiers @ Coutances (photo : Clémence Goupillot)


À plusieurs reprises, le pianiste étend sa palette sonore en jouant directement sur les cordes et le corps de son piano, explorant ses potentialités comme on le ferait sur un tambour. L’énergie se fait tour à tour incantatoire, méditative, explosive, comme si la musique elle-même devenait canal pour projeter son imaginaire foisonnant. Un concert à la hauteur des attentes, qui réaffirme la place d’Amaro Freitas parmi les voix les plus singulières et inspirantes du jazz d’aujourd’hui.


Amaro Freitas - Jazz sous les pommiers @ Coutances (photo : Clémence Goupillot)

Amaro Freitas – Jazz sous les pommiers @ Coutances (photo : Clémence Goupillot)


Emile Londonien – le soirée s’achève au Magic Mirrors


La soirée s’achève encore une fois tard au Magic Mirrors sur une note électro-funk des plus séduisantes avec la prestation du trio Emile Londonien. Moins aventureux que Photons, mais plus structuré, leur set repose sur de solides fondations funk et RnB sur lesquelles s’empilent des strates de synthés aux accents tantôt futuristes, tantôt rétro. Dès l’intro, un motif circulaire de basse instaure une pulsation hypnotique, bientôt rejoint par un barrage de rythmes breakbeat et jungle, survolé de nappes de synthés enveloppantes. Le trio semble vouloir concilier dancefloor et improvisation libre, un pari réussi dans la seconde moitié du concert où les solos se font plus effrénés, plus viscéraux.


Emile Londonien – Jazz sous les pommiers @ Coutances (photo : Stéphane Dubromel)


Mention spéciale au batteur Matthieu Drago


Mention spéciale au batteur Matthieu Drago, impressionnant d’endurance et de précision, qui signe un final explosif digne d’un club d’électro parisien. Ironie joyeuse : ce sont les spectateurs plus âgés qui lancent la danse parmi l’auditoire, donnant le ton à une fin de soirée festive et libératrice. Une claque inattendue pour leur première participation à Jazz sous les pommiers, qui sera assurément à renouveler.


Emile Londonien - Jazz sous les pommiers @ Coutances (photo : Stéphane Dubromel)

Emile Londonien – Jazz sous les pommiers @ Coutances (photo : Stéphane Dubromel)


crédit photos : Clémence Goupillot (photo du haut d’article), Francis Bellamy, Didier Eudes et Stéphane Dubromel



Jazz sous les pommiers 2025 - Arnaud a vu !


La 44ième édition de Jazz sous les pommiers a eu lieu du 24 au 31 mai 2025 @ Coutances (France)


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Arnaud G. VeydarierArnaud G. Veydarier : arnaudgveydarier@gmail.com /  Facebook / twitter

Arnaud G. Veydarier est un guitariste formé en musicologie à l’Université de Montréal. Son parcours reflète un intérêt profond pour le jazz, la musique contemporaine et les croisements entre musique et urbanité. Après plusieurs années passées à œuvrer dans le milieu culturel, il se consacre désormais à l’urbanisme, tout en continuant de prendre la scène au sein de divers ensembles. Vous pouvez le retrouver ici toutes les deux semaines dans ses critiques d’albums et quelques festivals qu’il couvre où il explore les nouvelles formes du jazz contemporain. Pour voir toutes ses chroniques, c’est ici

 

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Butcher Brown - Letters From The Atlantic (2025)

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