Y-Otis Trio et Obradovic-Tixier Duo @ Récif 2025 du Périscope à Lyon – Arnaud a vu!

Y-Otis Trio et Obradovic-Tixier Duo @ Récif 2025 du Périscope à Lyon - Arnaud a vu !

De passage en France pour quelque temps, votre humble serviteur en profite pour explorer les vibrantes scènes jazz du Vieux Continent qui nourrissent depuis longtemps une affinité profonde avec la note bleue. Artistes locaux ou de passage, clubs intimistes, festivals grandioses ou simples jam sessions, je partagerai au fil des prochains mois quelques-uns de mes coups de coeur d’outre-mer, histoire de se rappeler qu’ici comme ailleurs, le jazz s’enracine, se réinvente et reste plus vivant que jamais. Voici donc mes impressions du concert du 5 avril avec le Y-Otis Trio et le Obradovic-Tixier Duo @ Festival Récif au Périscope de Lyon, en France.


150 festivals et les plus grands noms du jazz


Pour un pays situé à quelque 6 000 kilomètres du berceau du jazz et dont la superficie fait à peine le tiers de celle du Québec, on pourrait s’étonner d’apprendre que la France accueille plus de 150 festivals de jazz, dont certains des plus anciens et prestigieux, comme ceux de Nice ou de Juan-les-Pins. J’ai d’ailleurs toujours été surpris de voir la qualité des programmes de festivals français qui attirent chaque année certains des plus grands noms du jazz qui semblent parfois filer tout droit en Europe l’été venu, sans s’arrêter par chez nous…


En salle, les générations se côtoient


Au-delà des avantages financiers et logistiques qu’on devine – pouvoir enchaîner les concerts sur un territoire relativement compact comparé à l’immensité nord-américaine – , les artistes parviennent également à rallier un public étonnamment diversifié, qu’il s’agisse de figures légendaires du jazz ou de talents émergents. En salle, les générations se côtoient, portées par une même curiosité pour une musique qui, loin de se figer dans la nostalgie, continue de surprendre, de bousculer et de brouiller les frontières entre styles et cultures.


Y-Otis Trio et Obradovic-Tixier Duo @ Récif 2025 du Périscope à Lyon - Arnaud a vu !

Petter Eldh et Jamie Peet


Y-Otis Trio @ Récif 2025


Et c’est exactement ce que j’ai pu observer samedi dernier au Périscope. La petite salle très sympathique située dans le sud de la presqu’île lyonnaise accueillait le sulfureux trio Y-Otis dans le cadre de Récif 2025, un festival entièrement consacré aux mouvances modernes du jazz. Quelques jours tôt, le festival accueillait par ailleurs l’excentrique trompettiste daoud au Transbordeur de Villeurbanne (en périphérie de Lyon) lors d’une performance aussi magistrale que délicieusement loufoque, où moments de grâce musicaux et joyeux malaises — parfois franchement cringe — coulaient de source. À découvrir.




Y-Otis Trio : Otis Sandsjö, Petter Eldh et Jamie Peet


Mais revenons à nos moutons. D’origine suédoise mais aujourd’hui basé à Berlin, le brillant saxophoniste et compositeur Otis Sandsjö pilote l’ovni Y-Otis depuis la sortie du premier album éponyme en 2018. À ses côtés, le bassiste et producteur Petter Eldh et le batteur Jamie Peet forment la section rythmique d’un trio dont la facture demeure certes dans le sillage historique des grands trios de jazz avec ses interactions spontanées, sa virtuosité instrumentale et sa liberté d’improvisation.


Otis Sandsjö


Mais cet héritage se trouve renouvelé par une approche résolument contemporaine : beats et structures fragmentés, textures électroniques omniprésentes, métriques complexes et éclatés confèrent à leur musique une allure de jam session futuriste sous haute tension. Le saxophoniste et le bassiste, aussi souvent les mains sur leurs contrôleurs que sur leurs instruments, propulsent le tout dans une sorte de transe électro-jazz tendue et hypnotique, entre chaos contrôlé et pulsations organiques.



Le saxophoniste impressionne d’emblée par sa virtuosité et son impressionnante endurance


L’amorce du concert est frontale, presque brutale. Sans crier gare, les musiciens déclenchent une déferlante de textures denses, nappes de synthés et pulsations syncopées dans un chaos savamment orchestré. Le saxophoniste impressionne d’emblée par sa virtuosité et son impressionnante endurance, tenant les rênes d’un univers en perpétuel mouvement. Les morceaux s’enchaînent avec une fluidité parfaitement maîtrisée, formant un continuum à la fois torrentiel, structuré et très dynamique. Une expérience que l’écoute des morceaux à la pièce sur album ne permet pas d’apprécier à sa juste mesure. On reconnaît tout de même quelques airs ayant largement circulés sur les playlists des services de streaming, comme la très funky et pétillante Tremendoce.


Y-Otis Trio et Obradovic-Tixier Duo @ Récif 2025 du Périscope à Lyon - Arnaud a vu !

Otis Sandsjö


Le public est balloté d’un tableau à l’autre


Chaque pièce — ou plutôt mouvement — semble prolonger la précédente tout en ouvrant de nouveaux horizons, tantôt frénétiques, tantôt suspendus. La cohésion d’ensemble repose moins sur les envolées nerveuses et viscérales du saxophoniste que sur l’énergie collective et la précision rythmique du trio. Le public est balloté d’un tableau à l’autre où textures électroniques, lignes de basse saturées et motifs percussifs se fondent en une matière sonore liquide, instable, mais tenue de bout en bout avec une virtuosité déconcertante. À mesure que le concert progresse, le chaos initial laisse place à des grooves plus lisibles aux accents hip-hop ou funk, avant que les musiciens ne renouent avec la frénésie des débuts.


Y-Otis nous a livré une performance totale, viscérale et sans compromis


Le jeu à la fois hyperactif et fragmenté d’Otis Sandsjö, mais toujours très expressif, fait penser à une version survitaminée de John Coltrane, nourrie à une étrange mixture de soul et de glitch. Derrière lui, Jamie Peet impressionne par sa souplesse et sa vélocité. Tantôt métronomique, tantôt relâché, il articule l’ensemble avec énergie et aplomb. Quant à Petter Eldh, il agit comme un véritable architecte sonore, sculptant l’espace avec ses basses trafiquées, ses pads de synthé et ses textures granuleuses. Leur performance me ramène à une entrevue de John McLaughlin dans laquelle il évoquait ses années avec le Tony Williams Lifetime : l’intensité en concert, disait-il, était telle que le sang maculait le sol à la fin (métaphoriquement bien sûr). C’est exactement ce genre de performance que le Y-Otis nous a livrée : totale, viscérale et sans compromis.


Y-Otis Trio et Obradovic-Tixier Duo @ Récif 2025 du Périscope à Lyon - Arnaud a vu !

Petter Eldh


La soirée ouvre avec le pianiste David Tixier et la batteuse-percussionniste Lada Obradovic


Pour finir, un mot sur la brillante performance du duo Obradovic-Tixier en ouverture de soirée. Complices de longue date, le pianiste David Tixier et la batteuse-percussionniste Lada Obradovic ont livré un set d’une grande richesse narrative, mêlant jazz contemporain très imagé et influences world assumées. Sur scène, leur entente palpable traduit une écoute attentive, une maîtrise fine des dynamiques, une écriture exigeante et une exécution virtuose, souvent teintée de poésie. Mention spéciale à Delhi’s Dream, composition inspirée d’un voyage en Inde, dont les rythmiques complexes et les couleurs harmoniques inspirées des musiques de l’Inde rappelaient par moments l’univers de Tigran Hamasyan. Une première partie audacieuse, sensible et habitée, à l’image du festival.




Y-Otis Trio @ Périscope de Lyon (5 avril)


Otis Sandsjö – saxophone et compositions
Petter Eldh – basse
Jamie Peet – batterie


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Obradovic-Tixier Duo


David Tixier – piano
Lada Obradovic – batterie et percussions


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Y-Otis Trio et Obradovic-Tixier Duo @ Récif 2025 du Périscope à Lyon - Arnaud à vu !


Festival Récif 2025

Le Périscope de Lyon


Arnaud G. VeydarierArnaud G. Veydarier : arnaudgveydarier@gmail.com /  Facebook / twitter

Arnaud G. Veydarier est un guitariste formé en musicologie à l’Université de Montréal. Son parcours reflète un intérêt profond pour le jazz, la musique contemporaine et les croisements entre musique et urbanité. Après plusieurs années passées à œuvrer dans le milieu culturel, il se consacre désormais à l’urbanisme, tout en continuant de prendre la scène au sein de divers ensembles. Vous pouvez le retrouver ici toutes les deux semaines dans ses critiques d’albums où il explore les nouvelles formes du jazz contemporain. Pour voir toutes ses chroniques, c’est ici


Crédit photo : Paul Bourdrel


 

 

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