
Dernière parution du regretté maestro, Trilogy 3 (2025) s’impose à la fois comme le chant du cygne d’un monument du jazz et comme l’ultime enregistrement d’un trio qui aura profondément marqué la dernière décennie du jazz contemporain.
Enregistré lors de la tournée de février-mars 2020, survenue un an avant la mort du pianiste, cet album posthume réunit huit performances magistrales captées à Paris, en Espagne, au Japon et aux États-Unis. Accompagné des tout aussi brillants Christian McBride à la contrebasse et Brian Blade à la batterie, Chick Corea retrouve un véhicule d’expression qui lui est cher, le trio acoustique, forme dans laquelle il a toujours semblé particulièrement libre et inspiré. Déjà salués pour deux volumes précédents récompensés aux prix GRAMMYs en 2018 et 2021, les musiciens atteignent ici un sommet de cohésion, de raffinement et de liberté, prolongeant la magie d’un trio qui mérite sans conteste sa place aux côtés des formations les plus marquantes de l’histoire du jazz moderne.
Humpty Dumpty ouvre le disque avec un éclat de légèreté
Composition emblématique de Chick Corea, Humpty Dumpty ouvre le disque avec un éclat de légèreté virevoltant grâce à la précision rythmique de Brian Blade et aux lignes fluides de Christian McBride, révélant une chimie toujours aussi étincelante au sein du trio. Captée à Paris, Windows s’inscrit dans une atmosphère plus introspective, parfaitement appropriée pour cette valse des années 1960 où le pianiste et le contrebassiste semblent animés d’un même esprit, anticipant mutuellement leurs phrases de façon quasi télépathique. Vient ensuite Ask Me Now de Thelonious Monk, amorcée par un long solo méditatif de piano avant que les autres musiciens ne le rejoignent au fil d’échanges souples et gracieux, pleins d’espaces et de nuances.
You’d Be So Easy to Love, moment fort de l’album
Moment fort de l’album, You’d Be So Easy to Love de Cole Porter est introduite par des touches électroniques et le jeu de cymbales feutré de Brian Blade, le morceau évoluant vers un swing empreint d’allégresse, entre lyrisme, virtuosité et humour. Autre clin d’œil au « grand prêtre du bebop », Trinkle Tinkle libère toute la folie douce du trio avec ses syncopes imprévisibles, ses ruptures de tempo et son énergie brute qui évoquent la tradition tout en la bousculant sans retenue. Chaque morceau voit la puissance technique et la richesse d’invention emboîter à la joie pure et manifeste du jeu collectif, dans une liberté totale qui ne verse jamais dans la démonstration.
Tempus Fugit de Bud Powell referme Trilogy 3 (2025) dans un tourbillon de virtuosité
Le dernier tiers de l’album s’amorce sur une relecture étonnante de la Sonate en ré mineur de Scarlatti, métamorphosée pour l’occasion en un terrain de jeu entre musique baroque et post-bop. Avec ses textures latines, ses syncopes délicates et ses élans rythmiques, Spanish Song fait la part belle aux sonorités ibériques et afro-cubaines si chères à Chick Corea.
Tempus Fugit de Bud Powell referme Trilogy 3 (2025) dans un tourbillon de virtuosité, emportant les musiciens dans une ultime escalade dont la trajectoire résume à elle seule l’univers de Chick Corea : profondément enraciné aux sources du jazz, mais toujours traversé par un vent de fraîcheur, d’élégance et de créativité, sans oublier une insatiable envie de dialoguer.
Humpty Dumpty / Windows / Ask Me Now / You’d Be So Easy To Love / Trinkle Tinkle / Scarlatti: Sonata in D Minor K9, L413 Allegro / Spanish Song / Tempus Fugit
Trilogy 3 – Live (2025)
Chick Corea – piano et claviers
Christian McBride – contrebasse
Brian Blade – batterie
Arnaud G. Veydarier : arnaudgveydarier@gmail.com / Facebook / twitter
Arnaud G. Veydarier est un guitariste formé en musicologie à l’Université de Montréal. Son parcours reflète un intérêt profond pour le jazz, la musique contemporaine et les croisements entre musique et urbanité. Après plusieurs années passées à œuvrer dans le milieu culturel, il se consacre désormais à l’urbanisme, tout en continuant de prendre la scène au sein de divers ensembles. Vous pouvez le retrouver ici toutes les deux semaines dans ses critiques d’albums où il explore les nouvelles formes du jazz contemporain. Pour voir toutes ses chroniques, c’est ici