Jazz à Vienne (FR) – Arnaud a vu !

Jazz à Vienne (FR) - Arnaud a vu !

Après les plaines verdoyantes de Normandie et l’ambiance bucolique de Jazz sous les pommiers, retour en région lyonnaise pour la 44e édition du Festival Jazz à Vienne, un des rassemblements consacrés à la note bleue les plus emblématiques de France. Prenant place au cœur d’une charmante petite commune à ne pas confondre avec la capitale autrichienne, le festival investit notamment le majestueux Théâtre Antique de Vienne, offrant un cadre exceptionnel où se mêlent patrimoine millénaire et grandes voix du jazz, vieilles pierres et grooves contemporains.


Jazz à Vienne (FR) - Arnaud a vu !

Jazz à Vienne (photo : Arthur Viguier)


Petite chronique de mes deux soirées à Vienne, où j’ai découvert un festival vibrant et généreux, et eu la chance de voir à l’œuvre Kamasi Washington, Avishai Cohen et Anne Paceo, trois univers aussi brûlants que contrastés. Mais c’est la performance magnétique de l’immense Meshell Ndegeocello qui s’est révélée être un coup de cœur absolu, entre groove viscéral, poésie engagée et spiritualité envoûtante.




Jazz à Vienne – un festival en constante évolution


Après un trajet d’une vingtaine de minutes en train depuis le centre-ville de Lyon, me voilà arrivé à la gare de Vienne, prêt à entamer la courte ascension menant au théâtre antique, perché à flanc de colline. Petite parenthèse pour saluer l’efficacité des trains régionaux français : ils n’ont certes pas le lustre d’un REM fraîchement inauguré, mais leur efficacité ferait pâlir d’envie bien des Nord-Américains…Mais revenons à nos moutons.


En entrevue, Guillaume Anger insiste sur l’importance d’une programmation « populaire »


Fondé en 1981, Jazz à Vienne n’a cessé de se transformer au fil des décennies. De Miles Davis à Ella Fitzgerald, en passant par Herbie Hancock, Chet Baker, Ray Charles ou encore Keith Jarrett, le festival a vu défiler les plus grandes figures de la note bleue. Cette histoire prestigieuse ne cantonne pourtant pas l’événement au passé, comme en témoigne son directeur artistique arrivé en poste il y a trois ans. En entrevue Guillaume Anger insiste sur l’importance d’une programmation « populaire » dans le meilleur sens du terme : ouverte, accessible, exigeante sans être élitiste. « Le jazz est une musique populaire par essence, » rappelle-t-il.


Jazz à Vienne (FR) - Arnaud a vu !


Et l’édition 2025 semble incarner pleinement cette vision. La programmation fait cohabiter des légendes du jazz traditionnel comme Monty Alexander, Dee Dee Bridgewater ou Avishai Cohen, avec des figures phares des mouvances actuelles comme Kamasi Washington ou Donny McCaslin. Elle accueille aussi des étoiles montantes comme daoud et Arooj Aftab, tout en s’ouvrant à des artistes grand public comme Ben l’Oncle Soul, Three Sacred Souls, ou encore notre bien-aimée Terez Montcalm. Une diversité assumée qui démontre que, dans le bon contexte, le jazz finit toujours par trouver son public.


Jazz à Vienne, dans la ville, avec la ville


Cette accessibilité se concrétise aussi par sa programmation aux trois quarts gratuite et déployée dans toute la ville de Vienne, qu’il s’agisse de de la charmante scène du Cybèle (photo), places publiques, clubs, musées, cloîtres et jardins, à l’exception de la scène du théâtre antique qui demeure payante. Ce parti pris permet d’attirer un public large et diversifié, tout en mettant en valeur le cœur de la ville que le public découvre au gré des concerts. Autre moment fort qui témoigne de cette volonté de s’ancrer dans la ville : la « journée marathon », qui débute au lever du soleil au belvédère de Pipet, avec sa vue imprenable sur Vienne, le Rhône et les massifs environnants, et qui se prolonge jusqu’à la nuit tombée au fil de concerts dans les lieux emblématiques de Vienne.


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Jazz à Vienne (photo : Marie Julliard)

Jazz à Vienne ne contente donc pas d’occuper la ville, il la fait participer


Pour Guillaume Anger, s’il s’agit bien d’un « festival international », celui-ci repose sur « un ancrage local très fort ». Il ne se contente donc pas d’occuper la ville, il la fait participer. Plusieurs projets sont menés en collaboration avec la population viennoise et des associations locales, ralliant une grande diversité de publics, incluant des groupes de personnes âgées, de jeunes artistes de la relève et des personnes en situation de handicap. Ainsi, le festival dépasse le simple cadre événementiel pour atteindre une dimension citoyenne et inclusive, un projet de territoire où la culture agit au-delà de la scène comme vecteur de lien social et d’action collective.


Soirée 1 (26 juin) : Avishai Cohen Quintet + Anne Paceo


Après un trajet d’une vingtaine de minutes en train depuis le centre-ville de Lyon, me voilà arrivé à la gare de Vienne, prêt à entamer la courte ascension menant au théâtre antique, perché à flanc de colline. Petite parenthèse pour saluer l’efficacité des trains régionaux français : ils n’ont certes pas le lustre d’un REM fraîchement inauguré, mais leur efficacité ferait pâlir d’envie bien des Québécois…Mais revenons à nos moutons.


Création symphonique pour Anne Paceo


La soirée s’ouvre en grand avec la troisième participation à Jazz à Vienne de la batteuse et compositrice Anne Paceo, qui présentait une création originale commandée par le festival. Entourée de plus de trente musiciens et choristes du Conservatoire à Rayonnement Régional de Lyon, elle dévoilait pour la première fois sur scène les pièces de son prochain album Atlantis (2025), dans des arrangements signés Joséphine Stephenson. Dès l’ouverture, sur fond de coucher de soleil et de chœur éthéré, le ton est donné avec des textures riches, un lyrisme animé et des crescendos amples.


Anne Paceo – Jazz à Vienne (photo : Simon Bianchetti)


Si certains moments brillent, comme la rythmée The Diver, ou encore les interventions chantées de Pierce Faccini et Cynthia Abraham, l’ensemble peine à sortir d’une intensité dramatique quasi constante. Le langage est maîtrisé, les orchestrations impeccables, mais la tension permanente finit par devenir étouffante, et malgré la qualité d’exécution, l’émotion finit par s’émousser. Un concert somme toute impressionnant, mais qui aurait sans doute gagné à respirer davantage.


Virtuosité lumineuse avec Avishai Cohen


La soirée se poursuit dans un tout autre registre avec le quintet du génial contrebassiste Avishai Cohen, venu présenter un nouveau répertoire de compositions originales, ainsi que quelques extraits de son dernier album, Brightlight (2024). Habitué du festival, le bassiste, accompagné de jeunes musiciens de la relève israélienne, ouvre avec panache sur un morceau swinguant, emporté par un furieux solo de trombone aux accents de J.J. Johnson, avant que le saxophoniste n’allume véritablement la mèche d’un jazz d’écriture classique, mais porté par une fraîcheur, une maîtrise et une spontanéité réjouissantes.


Avishai Cohen 5tet @ Jazz à Vienne (photo : Simon Bianchetti)


Le jeune pianiste Itay Simhovich (21 ans!) impressionne par la retenue expressive de son jeu, tout en nuances, en contraste avec la contrebasse flamboyante, avec laquelle une belle complicité se dessine tout au long du set. Les ballades tantôt lumineuses, tantôt plus sombres, donnent au bassiste l’espace d’explorer toutes les dimensions de son instrument : lyrisme, groove, slap, contrechants murmurés. Son jeu très créatif conserve toute sa fougue et son expressivité, affichant toujours un goût marqué pour les croisements stylistiques inattendus.


Itay Simhovich @ Jazz à Vienne (photo : Simon Bianchetti)


Le groupe fait preuve d’une grande cohésion, enchaînant pièces bop, grooves nuancés et crescendos maîtrisés. La section rythmique se régale, notamment sur la finale explosive. En rappel, Cohen livre deux morceaux chantés qui révèlent une voix de crooner : I Pray for Courage de Leonard Cohen, dans une version émotive et sobre, puis une interprétation joyeuse et animée de Summertime. Une manière d’achever le concert sur une note festive, à l’image du musicien qui nous a offert un concert vivant, virtuose et habité, comme seul Avishai Cohen sait les offrir.


Soirée 2 (4 juillet): Kamasi Washington + Meshell Ndegeocello


À mon arrivée au théâtre antique pour ma deuxième soirée au festival, j’attrape in extremis la fin du set de Donny McCaslin et de la formation Ishkero, qui, comme lors de leur passage à Coutances en mai dernier, livrent une performance survoltée. Les musiciens semblent même avoir gagné en assurance et en cohésion depuis cette première rencontre, où le saxophoniste new-yorkais partageait la scène avec le groupe parisien pour la première fois.


Soul mystique avec Meshell Ndegeocello


Vient ensuite le moment tant attendu. Le concert de la bassiste, chanteuse et compositrice Meshell Ndegeocello s’ouvre tout en douceur avec un duo aux accents soul des années 1970, formé par les multi-instrumentistes Jake Sherman et Abe Rounds, également connus sous le nom de Jake & Abe. Voix chaleureuse et groove d’orgue contagieux au menu, le duo interprète deux morceaux de leur cru pour une entrée en matière légère.


Meshell Ndegeocello @ Jazz à Vienne (photo : Simon Bianchetti)


Lorsque Meshell Ndegeocello rejoint la scène aux côtés de ses fidèles complices Justin Hicks (chant) et Chris Sprague (guitare), la musique gagne en densité et en spiritualité. Des extraits audio préenregistrés à teneur militante viennent teinter l’ensemble d’une gravité mystique, en écho à l’activiste James Baldwin à qui elle consacre son plus récent album. Si le propos est parfois un peu nébuleux, il conserve une charge symbolique manifeste, abordant sans détour les thèmes de l’injustice, de la mémoire collective et de la dignité humaine.


Meshell Ndegeocello et Chris Sprague @ Jazz à Vienne (photos : Pierre Gouineau)


Les morceaux s’enchaînent entre ballades éthérées et soul-funk engagées, ponctués de longues nappes atmosphériques où guitare acoustique et orgue se mêlent avec grâce. L’univers convoque autant Sly Stone que Pink Floyd, le chanteur Justin Hicks passant sans effort de la douceur intimiste aux envolées les plus puissantes, grâce à sa présence et sa souplesse vocale impressionnante. Lors des rares flambées d’énergie — funk incandescent, orgue en feu, chœurs exaltés — le contraste est saisissant et libérateur. La soirée culmine sur un hymne psychédélique et spirituel, avant de se dissoudre dans un chaos savamment tenu en équilibre par une section rythmique implacable. Une performance riche en contrastes et en intensité, lente à s’installer, mais profondément envoûtante une fois lancée, comme un train qui prend son temps au départ, mais qu’on ne veut plus quitter une fois en mouvement.


Kamasi Washington : jazz cosmique en apothéose


En tournée pour la sortie de son album Fearless Movement (2024), Kamasi Washington débarque sur scène entouré d’un véritable all-star band : la chanteuse Patrice Quinn, le trompettiste Igmar Thomas, le claviériste Cameron Graves, DJ Battlecat, son père Rickey Washington au saxophone, le redoutable Miles Mosley à la basse et Tony Austin à la batterie. D’entrée de jeu, le ton est donné avec un groove massif inspiré du thème du film Halloween, sur lequel cuivres et flûte s’entrelacent de manière sulfureuse. L’atmosphère est électrique, presque cérémonielle, et la foule du Théâtre Antique ne tarde pas à entrer en résonance.


Kawasi Washington @ Jazz à Vienne (photo : Simon Bianchetti)


Les morceaux suivants oscillent entre jazz spirituel façon A Love Supreme, funk cosmique, spoken word engagé et envolées psychédéliques. Sur une ballade inspirée d’une mélodie fredonnée par sa fille, Rickey Washington se fait poignant au sax, avant que DJ Battlecat ne prenne le relais avec un solo de platines abrasif et jubilatoire. Puis vient The Madman, où la voix plane sur une pulsation dense. Claviers modulés, effets spatiaux et trompette enflammée s’y croisent dans une fusion hypnotique. Le prodigieux Cameron Graves en profite pour livrer ce qui restera sans doute le solo le plus époustouflant de la soirée, traversé de ruptures et d’accélérations, culminant en une séquence de virtuosité éclatante, à la fois explosive et mélodiquement limpide.


Jazz à Vienne (FR) - Arnaud a vu !

Les musiciens de Kamasi Washington @ Jazz à Vienne (photos : Pierre Gouineau, Simon Bianchetti et Gwen Gaudy


L’improvisation est reine, les crescendos savamment construits, et les musiciens à leur sommet. Le tout conserve l’énergie brute du free jazz tout en s’ouvrant à des textures électroniques et grooves futuristes. La soirée culmine avec une relecture survoltée d’une pièce d’Astor Piazzolla, transformée en odyssée intergalactique. Un concert total, viscéral, où le souffle du jazz mystique de Kamasi Washington nous transporte bien au-delà des genres et des époques dans une transe collective et porteuse de lumière.


La 42ième édition de Jazz à Vienne a eu lieu du 26 juin au 11 juillet 2025 @ Vienne (France)


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Arnaud G. VeydarierArnaud G. Veydarier : arnaudgveydarier@gmail.com /  Facebook / twitter

Arnaud G. Veydarier est un guitariste formé en musicologie à l’Université de Montréal. Son parcours reflète un intérêt profond pour le jazz, la musique contemporaine et les croisements entre musique et urbanité. Après plusieurs années passées à œuvrer dans le milieu culturel, il se consacre désormais à l’urbanisme, tout en continuant de prendre la scène au sein de divers ensembles. Vous pouvez le retrouver ici toutes les deux semaines dans ses critiques d’albums et quelques festivals qu’il couvre où il explore les nouvelles formes du jazz contemporain. Pour voir toutes ses chroniques, c’est ici


 

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