
Notre chroniqueuse et collaboratrice Charlotte Désilets est de retour de son périple européen et nous propose une entrevue en profondeur très intéressante avec la superbe chanteuse Camille Bertault qu’elle a vu en concert @ L’Empreinte de Brive-la-Gaillarde le 31 janvier 2025. La curiosité débordante de Charlotte nous fait découvrir Camille Bertault sous plusieurs aspects intéressants. À lire!
Charlotte Désilets : Camille Bertault, te présenterais-tu en quelques mots ?
Camille Bertault : Je m’appelle Camille Bertault. J’ai 38 ans et demi. Je suis chanteuse, autrice et compositrice de jazz, essentiellement. En 2016, après avoir été découverte par Sunnyside Records grâce à ta vidéo Pas de géant qui fait le tour du monde, tu publies ton premier album, En vie. Cette année 2025, tu tournes à l’international pour présenter le spectacle de ton cinquième album, Bonjour mon amour.
Charlotte Désilets : Comment te sens-tu par rapport au chemin que tu as parcouru depuis tes débuts ?
Je suis très fière de moi, parce que j’ai traversé beaucoup de choses et il m’a fallu beaucoup de courage. Dans ce métier, on n’a pas le choix: quand on veut faire ça, on ne peut pas faire autre chose. J’ai dû être solide, être forte, et m’imposer. Ça me donne le vertige quand je pense qu’il y à 10 ans, je ne savais pas ce que c’était qu’une tournée, je ne savais pas ce que c’était que gagner sa vie avec ses propres chansons, je ne savais pas ce que c’était de faire un album, de collaborer avec des musiciens avec qui j’ai jamais joué et de faire un concert le lendemain, de monter une équipe, de faire des arrangements, de penser un projet, d’être sur scène fréquemment…Il y a tellement de choses dans lesquelles je me suis plongée sans savoir le travail que ça représentait !
Charlotte Désilets : T’étais-tu toujours imaginée faire de ta musique une carrière ?
Camille Bertault : J’ai commencé à gagner ma vie assez tôt, à partir de mes 17 ans: je donnais des cours de piano. [Mais] pour moi, à 25 ans, c’était inimaginable que je me retrouve à faire des tournées internationales à chanter mes chansons. […] Moi, j’étais une « traqueuse » de maladie. J’ai fait des études de piano classique, et j’ai arrêté la musique à 18 ans parce que j’avais trop le trac. C’était trop difficile pour moi d’être sur scène, donc j’ai arrêté. Je faisais un peu de théâtre, donc je me suis dit, peut-être que le théâtre, ça va mieux se passer, mais ça ne se passait pas vraiment mieux. J’avais quand même beaucoup de trac.[…]
J’ai toujours adoré l’enseignement, mais il manquait un truc, parce que j’avais vraiment un truc avec la scène au fond de moi. […] Je mettais un doigt de pied sur la scène, puis un deuxième doigt de pied sur la scène. Je ne pouvais pas m’en empêcher. J’essayais d’une manière ou d’une autre, à travers les pièces théâtrales pour enfants que j’ai écrites, à travers des petits duos guitare-voix avec des gens, et ces petites scènes ouvertes, et je sentais que ça m’attirait. Il fallait que j’y aille. […] C’était un peu contradictoire, parce que j’avais à la fois ce trac maladif et à la fois une irrésistible attraction pour la scène. J’étais vraiment mal en point par rapport à cette contradiction.
Et je me suis rendue compte qu’en fait, ce qui fonctionnait, c’était la voix. Donc, j’ai fait passer tout ce que j’aime, le théâtre, la musique, les textes, la théâtralité, tout ça, la danse, par mon univers. Je me suis construite comme une sorte de maison sur scène. Et du coup, mon trac est parti. […] Quand je me crée ma bulle, quand je me crée mon ambiance, mon atmosphère, j’ai l’impression que je suis invincible, que c’est l’endroit où je me sens mieux.
Charlotte Désilets : D’un album avec ton père pianiste jusqu’à des collaborations avec des musiciens jazz de partout dans le monde, en passant par la rencontre de ton agent d’aujourd’hui, comment tes voyages au Brésil ont-ils forgé la musicienne que tu es aujourd’hui ?
Camille Bertault : Au départ, c’était en 2013, j’y suis allée trois mois. Parce qu’à cette époque-là, j’écrivais des pièces de théâtre pour enfants et j’ai eu une bourse de la mairie de Paris pour y aller et pour faire une pièce de théâtre inspirée de contes et légendes brésiliens. Et ce qui s’est passé, c’est que je suis vraiment tombée amoureuse du Brésil et j’ai rencontré des personnes qui m’ont finalement aidée à revenir, à re-jouer, à re-rencontrer d’autres gens.
Charlotte Désilets : Qu’est-ce qui résonnait avec toi dans la culture du Brésil ?
Camille Bertault : J’ai l’impression qu’au Brésil, c’est bien de montrer son enthousiasme. Ce n’est pas quelque chose de honteux. Ce n’est pas quelque chose de pudique. On montre son enthousiasme. Et du coup, je trouve que ça change énormément de choses dans le rapport entre les gens.
J’ai l’impression aussi que la nature est quand même assez incroyable. Le Brésil, c’est grand comme l’Europe. […] Il y a quelque chose qui a varié, qui offre, je trouve, une végétation assez splendide. Et il y a des peuples qui vivent en Amazonie. Donc, il y a toute cette tradition-là qu’on sent dans l’air, même si on est en ville.
[Et] les corps dansent beaucoup plus facilement là-bas. Donc du coup, ça influence forcément le son, la musique, le rapport au rythme. J’aime beaucoup aussi le fait que tous les musiciens de jazz, enfin c’est la sensation que j’ai eue, se connaissent, de toutes les générations confondues. Il y a une vraie famille, en fait. Donc, quand on rencontre un musicien, on les rencontre tous. Quand on joue avec un musicien, on finit par jouer avec tous. Du coup, forcément, ça enrichit énormément toutes les expériences musicales. Et j’ai rencontré beaucoup de musiciens étonnants, connus, pas connus, jeunes, pas jeunes et j’ai beaucoup chanté de musique brésilienne.
Charlotte Désilets : Tu as justement enregistré des pièces brésiliennes en duo avec plusieurs artistes. Prévoyez-vous les diffuser ?
Camille Bertault : Alors, j’en ai partagé quelques-unes sur YouTube. Je vais en faire un album. Ça devrait sortir à la fin août. J’ai un label new-yorkais qui s’appelle Sunnyside. C’est mon premier label, qui a sorti mon premier album En vie. Il a sorti aussi un album que j’ai fait avec mon père, qui s’appelle Songs for My Daughter. Et, normalement, c’est ce label qui va sortir ce projet qui s’appellera Voz e voce. Ça veut dire »voix et toi ». Et donc, ce sont que des morceaux que j’ai créés avec des musiciens que j’ai rencontrés depuis que je suis venue au Brésil.
Charlotte Désilets : Tu as d’ailleurs expérimenté avec diverses options pour la production et la mise en marché de tes albums. Voudrais-tu nous en parler ?
Camille Bertault : J’ai un peu tout expérimenté au niveau des maisons de disques. ‘Label indépendant’, j’ai essayé; ‘major’, j’ai essayé: j’ai fait deux albums avec Sony. Et j’ai aussi fait un album (presque) toute seule. Quand tu as l’indépendance totale artistique, c’est à toi de tout financer, c’est à toi de prendre des risques financiers. Le label indépendant c’est entre les deux, donc, tu n’as pas à t’occuper de tout, absolument tout, parce que faire un album, c’est extrêmement fatigant. Et en même temps, tu vas récupérer moins de royalties, mais bon, le choix, il se fait souvent à ce niveau-là. Soit t’as besoin vraiment d’un vrai coup de pouce, et les majors te donnent un vrai coup de pouce financier, et ça te donne une vraie visibilité. […]
En même temps, tu as moins de marge de manœuvre, avec des majors. Si tu as quelqu’un qui a peur à côté de toi et qui pense « Est-ce que ça va plaire ? », « Est-ce que ça va vendre ? », forcément ça t’influence. Même si cette personne est de bonne constitution, bienveillante, tu vas sentir sa peur. Ce qui est compliqué, c’est d’arriver à créer sans penser à si ça va plaire ou pas. Sinon, ça influence la création. Et donc ça, c’est très difficile quand tu travailles avec des gens qui ont investi beaucoup d’argent pour toi. De nos jours aussi, de plus en plus de choses sont possibles de façon indépendante pour des artistes.
Charlotte Désilets : Mais de produire ton dernier album de façon totalement indépendante, ça t’a demandé beaucoup…
Camille Bertault : On peut dire que je l’ai fait toute seule dans le sens que je supervisais la pochette de l’album, le master, l’attaché de presse. Côté financement, en France, il y a pas mal de subventions, […] et c’est un énorme travail. Donc je me fais aider. Mais voilà, malgré tout, il faut se faire aider. Du coup, je suis revenue [à Sunnyside Records] pour ce projet brésilien, car j’ai voulu avoir un entre-deux, avoir une certaine décision artistique, mais être un peu aidée. Les labels indépendants, c’est une bonne façon de déléguer un petit peu en responsabilité et en même temps de garder une marge de manœuvre artistique.
Charlotte Désilets : Et les réseaux sociaux ?
Camille Bertault : En fait, je pense que les réseaux sociaux, il faut le prendre vraiment comme quelque chose qui te permet d’avoir un contact direct. Il faut que tu sois un peu spontanée et que tu essaies de t’amuser avec ça. Sinon, ça ne sert à rien parce que ça va se perdre dans toutes les entreprises. Il faut s’amuser ; le prendre comme la continuité de ta création, là, ça sert à quelque chose. Et c’est, je pense, beaucoup plus efficace.
Charlotte Désilets : La recherche d’authenticité revient-elle aussi dans ton écriture ?
Camille Bertault : Oui, vraiment. […] J’essaie d’écrire avec sincérité. J’essaie de ne pas écrire pour faire joli. J’essaie d’écrire pour être vraie. Et voilà. Je n’écris pas trop d’autres choses. J’essaie de toujours avoir ce rapport authentique, un truc qui me ressemble, un langage qui me ressemble. […] Être à un endroit où tu sens que ça te ressemble, c’est la meilleure chose qui peut t’arriver. Il faut toujours, toujours être à un endroit qui te ressemble.
Charlotte Désilets : Tu écris beaucoup en français. En quoi c’est important pour toi de chanter dans ta langue ?
Camille Bertault : Je pense que c’est la langue dans laquelle je vais écrire le mieux, parce que c’est une langue que j’ai émotionnellement vécue et donc c’est là que je vais trouver vraiment les mots qui correspondent à ce que je veux exprimer.[…] Dans une autre langue, j’ai déjà fait un peu, mais ça ne va pas vraiment être le plus juste possible. Parce que pour bien écrire dans une langue, il faut avoir vécu avec cette langue émotionnellement.
Charlotte Désilets : De quels sujets aimes-tu parler dans tes chansons ?
Camille Bertault : Dans toutes mes chansons, je m’inspire de mon vécu mais pas que. C’est pas que auto-centré. Je m’inspire de choses que j’ai vues, de sujets tout simplement qui ont une résonance. Ce n’est pas forcément mon histoire. Il suffit juste que j’en ait eu une sorte d’arrière-goût, et puis tiens j’ai envie d’écrire une chanson là-dessus. [Pour la chanson Has been], j’ai eu envie d’écrire une chanson sur cet état dans lequel on a connu vraiment une sorte d’illusion de succès, d’être acclamé, de tout côté un intérêt. Mais c’est quelque chose qui pourrait s’apparenter aussi à la jeunesse, la beauté. Et tout finit par aller ailleurs, de toute façon. On a tous, moi c’est un peu ma phrase, on est tous le has-been de quelqu’un, on a tous été le has-been de quelqu’un. Dans le sens qu’on n’est pas gagnant tout le long de sa vie sur tous les plans. Il y a forcément un moment où on se sent à côté, oublié, ou plus dans le coup. Parce que, bon, moi, j’ai que, mais j’ai quand même bientôt 39 ans. Disons que c’est quelque chose qu’on peut sentir. Quand on a eu un succès à 28 ans, 29 ans, on gagne en maturité à 39 ans aux yeux des autres. On n’est plus dans la nouvelle découverte, l’émergence. On est ailleurs. Et tant mieux.
Charlotte Désilets : Et comment vois-tu cette quête du succès aujourd’hui ?
Camille Bertault : Au début, c’était l’envie de toujours plus de succès. On a toujours envie de plus de succès, mais disons que j’ai appris à comprendre beaucoup de choses par rapport à ça. La chose essentielle, ce n’est pas avoir le plus de succès possible, c’est de ressembler le plus possible, être le plus possible au contact de ce qu’on a vraiment envie de dire et de véhiculer. Donc ça, c’est quelque chose qui a mis du temps. Et il y a toujours des travers. Parce qu’on est pas, on a plusieurs, on est pas dans la même peur. La peur de tomber dans l’indifférence, la peur d’être, on tourne trop, ou la peur de ne pas tourner assez. Il y a toujours des travers, on tombe dans l’ego et l’ego c’est nous donc. Je dirais que c’est comme quelque chose qu’il faut recentrer. C’est un peu un truc qui se règle et il faut le régler pour être dans quelque chose de mieux.
Charlotte Désilets : Tu danses souvent durant tes concerts, et c’est quelque chose de très rare dans le milieu du jazz. Comment est-ce que ça s’inscrit dans ta démarche ?
Camille Bertault : Déjà, je me suis rendue compte que la danse, ça fait aussi vachement partie de moi. Je suis quelqu’un qui, j’ai toujours dansé facilement. C’est un peu comme la voix, quoi. C’est des choses qui sont assez fluides pour moi. J’ai pris quelques cours, mais bien, disons que c’est un terrain d’expression assez agréable pour moi. Et en fait, je me suis juste rendu compte, tiens, pourquoi je ne danse pas ? Et la réponse en moi, c’était parce que je pensais que je n’avais pas vraiment le droit, que ce n’était pas trop le lieu pour ça. Et puis, je ne me suis pas du tout contentée de la réponse. Je me suis dit, mais c’est nul comme réponse. Fais ce que tu veux, quoi! C’est toi qui te prêtes ton espace, c’est ta maison, donc si t’as envie de danser, ben tu danses.
Et je me suis rendue compte que danser, ça faisait même mieux jouer les musiciens, parce que ça amenait beaucoup d’énergie, et puis ça faisait aussi comprendre au public l’énergie de ta chanson, ça donnait envie au public de danser aussi, bref, c’était juste du positif. Et je me suis aussi dit, ah, en plus, ce qui est bien, c’est que ça n’a jamais été fait! Ça vient un peu peut-être des comédies musicales. Je regardais un documentaire hier sur Gene Kelly et je me suis rendue compte à quel point j’avais vu tout ça. Toute mon enfance, je l’ai dévoré. Je faisais tous les pas par cœur. Finalement, nos projets, ils sont faits de ce que nous sommes et de tous les chemins qu’on a traversés !
Charlotte Désilets : Comment le fait d’être une femme a influencé ton parcours dans l’industrie du jazz ?
Camille Bertault : Moi, vu que je tourne essentiellement mon projet, et que j’ai la chance d’avoir quand même un nom, d’avoir été un peu validée, je suis plus facilement prise au sérieux que quand j’avais 25 ans, c’est clair. J’entendais encore il y a 10 ans des phrases incroyables qui presque ne me semblaient pas incroyables. Du style : « le jazz, c’est vraiment une énergie masculine; il faut être un homme pour bien jouer cette musique ». C’était dit par des gens qui ont une grande réputation dans le jazz, donc c’était quelque chose, disons, qui était dans l’air. Donc c’est magnifique que ça ait changé.
Je me suis déjà retrouvée dans des situations où je n’étais pas prise au sérieux, bien entendu. Mais c’est aussi ça qui m’a poussée à travailler encore plus pour imposer ma musicalité, pour me faire confiance et qu’on comprenne très vite que je suis musicienne et que je dois être prise au sérieux. Je veux que ce soit ma musique et mon identité artistique qu’on voit en premier. Je veux qu’on dise « Ah, je vais voir l’univers de Camille ! » On ne peut pas passer sa vie à se dire « Ah, ils sont méchant, je suis une femme, je suis chanteuse, les autres sont toujours tellement durs dans ce monde d’hommes ». Oui, c’est dur, mais on ne peut pas passer son temps là. Et on est là pour travailler au max, être très sérieux et tout faire pour être pris au sérieux. C’est ça, on ne peut pas pleurnicher pendant des années parce qu’il faut bosser. On ne peut pas être paresseux. Il faut bosser dur pour être pris au sérieux. Et si on n’est pas encore pris au sérieux, il faut bosser encore plus dur.
Si je vois un orchestre ou un festival avec seulement des hommes, je suis très partagée, parce que, à la fois, […] le quota encourage les gens à programmer des femmes incroyablement talentueuses alors qu’ils n’auraient pas le réflexe, mais il arrive qu’ils choisissent des femmes pas talentueuses. Je déteste qu’ils choisissent des femmes parce que ce sont des femmes, puisque ça n’aide pas à prendre les femmes au sérieux. Par contre, il y a plein de femmes brillantes. Ces femmes brillantes, c’est essentiel qu’elles soient là pour que les petites filles les voient et que les petites filles aient envie. Tout passe par là, dans l’imaginaire collectif. Il y a des changements immenses qui se sont faits en 10 ans.
Charlotte Désilets : Tu as étudié le chant jazz au Conservatoire de Paris. Quelles particularités reconnais-tu au chant dans l’apprentissage du jazz ?
Camille Bertault : Évidemment, souvent, quand on est chanteuse, on est une femme. Et souvent, les autres instruments sont des hommes. Pour faire leur instrument, ils ont dû apprendre à lire la musique, etc. Donc, on a moins étudié la musique que les musiciens à côté de nous. Comme le chant, c’est un instrument instinctif, il faut que cet instinct soit déjà très développé pour pouvoir communiquer avec les autres, ou du moins, si on apprend avec d’autres, il faut que les autres soient aussi au stade d’apprendre. Ce que je veux dire par là, c’est que quand on est chanteur, c’est un peu comme si on était aveugle. Disons qu’on doit construire son chemin en développant d’autres sens, qui vont faire qu’on va pouvoir se repérer parfaitement dans l’espace, même si on n’a pas de point de repère.
[Dans la littérature], je trouve qu’il n’y a pas de méthode de travail en jazz vocal. Il y a soit des gens hyper talentueux, mais qui ne te disent rien sur leur manière de travailler, soit des trucs un peu bidons et habituels. Puisque le jazz vocal, c’est vraiment un instrument à part, un instrument qui n’a pas de boutons, il faut l’aborder d’une manière très, très spécifique, […] et j’ai l’impression d’avoir déjà trouvé une méthode très concrète.
Charlotte Désilets : Dans ton enseignement et dans ta pratique personnelle, quelle est ta vision de l’improvisation ?
Camille Bertault : Il y a l’aspect psychologique et l’aspect pratique de l’improvisation. L’aspect psychologique, c’est qu’il faut arrêter de sacraliser l’improvisation. C’est réaliser qu’on passe notre temps à improviser avec notre langage. Là, je suis en train d’improviser. On improvise toute la journée depuis toujours. Donc on a ça en nous. C’est juste qu’on a appris un vocabulaire. Comment on a appris le vocabulaire ? On a entendu nos parents faire des sons. On a imité sans vraiment comprendre. Et puis, petit à petit, on a commencé à faire des assemblages. Et puis, sans étudier la grammaire et tout, on a construit notre langage, mais pas que le vocabulaire aussi, la culture, le langage du corps. D’après moi, il faut penser un petit peu la musique comme un langage qu’on doit apprendre. Le bébé, quand il apprend à marcher, apprend son équilibre en tombant et en se relevant. Donc, on est obligé de passer par des trébuchages, par les erreurs, par tout ça. Et moi, c’est vraiment ça aussi qui m’a distinguée, qui m’a attirée vers la musique improvisée. C’est que les erreurs sont interdites en musique classique quand tu interprètes des partitions, alors que dans l’improvisation, dans le jazz, mon sentiment, c’est qu’il n’y a pas d’erreur. C’est dans l’intention. Il faut transformer, en fait. Les erreurs peuvent être des portes pour nous amener ailleurs.
Charlotte Désilets : Quels sont tes objectifs à venir en matière d’enseignement ?
Camille Bertault : J’ai lancé, pendant le confinement, des masterclass en ligne. J’ai fait quelques enseignements, mais je n’ai pas trop le temps. Donc, mon but, c’est de filmer, de monter ces classes et de les mettre en vente sur mon site pour pouvoir divulguer un peu mes méthodes de travail.
Déjà, dans mes masterclass, j’essaie un petit peu de transformer les visions, les a priori qu’on a. Et puis après, je fais des travaux. Un travail qu’on fait au clavier sur tous les intervalles. Là, il faudrait un piano. Il faudra, du coup, venir à mes masterclass! Apprendre à chanter tous les intervalles, les accords à 3 sons, à 4 sons dans tous les sens. Ça commence par la tierce, ça commence par la quinte, ça commence par la septième, chanter les enrichissements. Bon, il y a plusieurs étapes selon les niveaux. Mais voilà, c’est des choses très concrètes. Et ensuite, plein d’autres techniques d’improvisation, comment improviser sur un morceau, il y a plein, plein, plein, plein d’exercices possibles pour pouvoir le mettre dans la tête.
Charlotte Désilets : En plus de l’enseignement, quels sont tes projets à venir ?
Camille Bertault : Je n’ai pas de projet qui va venir avec des textes à moi parce que j’ai beaucoup fourni ces dernières années. Donc, je me repose. Je n’ai pas forcément d’inspiration. Par contre, j’avais très envie de publier mes textes quelque part. Je vais m’y mettre. J’ai envie de le faire. Mais voilà. Il n’y a pas de projet à venir. J’attends l’envie.
Charlotte Désilets : Et la multitude de standards pour lesquels tu as adapté des paroles en français, vas-tu les partager aussi ?
Camille Bertault : Peut-être que je vais publier ça aussi. Je ne sais pas, c’est beaucoup de travail. Retrouver tous les textes, les mettre en forme, les corriger, etc. C’est beaucoup de travail administratif. […] Là, je suis dans une phase où j’ai envie d’absorber plutôt que de créer. Donc lire, regarder des films, écouter de la musique, aller voir des concerts, ne rien faire, écrire, peut-être quand même dessiner. Un petit rêve que j’ai, c’est d’un jour avoir mon endroit, quelque part dans le monde, où je fais de la musique, où j’invite des musiciens, et où on m’emmerde pas. Donc, peut-être que ça se retrouvera, mais voilà.
Charlotte Désilets : Dans les dernières années, tu as collaboré avec David Helbock, tu as tourné un spectacle hommage à Gainsbourg avec l’Orchestre de Jazz de Gainsbourg, tu prépares un album de duos du Brésil… Quelles autres collaborations voudrais-tu faire ?
Camille Bertault : Il y a des collaborations possibles et des collaborations impossibles, tu diras. Moi, j’aimerais énormément, comme 10 milliards d’artistes, travailler avec Bjork. […] Sinon, un duo brésilien: Salomon Soares et Vanessa Moreno, ils sont un duo incroyable. J’ai joué beaucoup avec Salomon et un petit peu avec Vanessa, et ça doit être très intéressant de faire un trio, de faire un album juste en trio. Deux voix et un piano.
Charlotte Désilets : Alors qu’est-ce que tu nous prépares d’autre pour les prochaines années ?
Camille Bertault : Je ne sais pas. Je ne sais pas. Je laisse les choses venir à moi. Je ne suis pas vraiment dans une forme de produit. Là, je fais les concerts. Je vais me reposer. J’ai fait 7 albums. Je vais parler des collaborations que j’ai faites ces dernières années. Donc, moi, j’ai composé une centaine de choses. Donc, je n’ai pas d’envies de collaboration. J’ai juste envie, pour un nouveau projet, qu’il y ait un sens. Il faudra qu’il se justifie. Là, moi, je suis beaucoup plus dans une phase de rassembler tout ce que j’ai fait. Peut-être que j’avais pensé à un moment à un album live qui rassemble des chansons de plusieurs albums. J’en suis, voilà, je dirais que c’est un peu comme si j’avais agité, tu sais, les espèces de jouets pour enfants, les boules avec de la neige à l’intérieur et que tu secoues. Et tu attends que la neige retombe. Là, je suis dans cette phase-là. J’ai beaucoup, j’ai couru pendant très longtemps et là, je regarde juste la neige qui tombe.
Charlotte Désilets : Pour finir, quand prévois-tu repasser nous voir au Québec ?
Camille Bertault : Si je suis invitée, bien sûr. J’ai joué au Montréal Jazz Festival en 2017. […] Moi, tu sais, souvent, les gens me demandent : est-ce que vous allez venir ? Mais, en fait, ça ne dépend pas de nous. Ça dépend des programmateurs. Je pense que déjà les programmateurs se doivent d’aller voir les artistes sur scène pour les connaître, […] prendre des risques et offrir au public une vraie variété. Les programmateurs, ils ont tout entre leurs mains pour mettre en contact le public et l’artiste. Ça ne dépend même pas du public parce que j’ai vraiment un public très chaleureux un peu partout dans le monde. Il a vraiment envie de m’écouter. Après, c’est aux programmateurs d’être à l’écoute de ça.
Charlotte Désilets : Merci Camille Bertault et bonne continuation !
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Charlotte Désilets : charlotte.desilets@gmail.com
La chanteuse de jazz et comédienne Charlotte Désilets nous raconte les passionnants concerts de la grande famille du jazz.