
Quatre ans après Yellow (2021), dont le succès a été comparé à un véritable manifeste musical de la scène jazz britannique, la multi-instrumentiste Emma-Jean Thackray revient avec Weirdo (2025), un nouvel album aussi inattendu qu’éblouissant. Composé, interprété, enregistré, mixé et produit seule dans son appartement de South London, l’album est à la fois un autoportrait radical et une ode à la résilience.
Conçu lors d’un moment de profond tumulte intérieur, marqué par le deuil de sa partenaire, sa neuroatypie et une rupture créative avec la trompette, son instrument fétiche, Weirdo (2025) se présente comme un élan de survie et de renaissance.
Emma-Jean Thackray nous propose un album transgressif, profondément libre et tout simplement remarquable
La musicienne y délaisse le jazz pur pour mieux le dissoudre dans un kaléidoscope de funk, pop, grunge, broken beat et soul. Son chant prend une place centrale, tout comme sa guitare, au fil de dix-neuf morceaux éminemment personnels où la sincérité brute côtoie l’exubérance sonore. Un album transgressif, profondément libre et tout simplement remarquable.
Le ton est donné dès l’ouverture avec le triptyque Something Wrong with Your Mind / Weirdo / Wanna Die
Le ton est donné dès l’ouverture avec le triptyque Something Wrong with Your Mind / Weirdo / Wanna Die, trois morceaux aussi contrastés que complémentaires. On y entend déjà son approche atypique, aux textes crus, à l’humour noir et aux grooves élastiques. Wanna Die, un pastiche de hit pop-punk aux paroles frontales sur les pensées suicidaires, trouve un équilibre étonnant entre ironie, fragilité et fougue. On rassure ses fans de la première heure : le jazz est toujours présent, notamment dans l’harmonie, les arrangements et les syncopes, mais il devient texture, langage transversal, et non plus un genre à part entière.
À mi-parcours, l’album offre une série de morceaux lumineux et viscéraux qui montrent l’ampleur de la palette de la musicienne
À mi-parcours, l’album offre une série de morceaux lumineux et viscéraux qui montrent l’ampleur de la palette de la musicienne. Tofu et Fried Rice déploient des grooves syncopés ludiques, des basses moelleuses et des synthés en fusion, alors que Let Me Sleep et Stay révèlent une facette plus contemplative, mêlant désespoir et réconfort. Sur It’s Okay, le chanteur Kassa Overall livre un couplet d’une fluidité aérienne, alors que Black Hole voit Reggie Watts scander des incantations hallucinées sur fond de jazz cosmique et de P-Funk incandescent.
Le disque d’Emma-Jean Thackray se clôt sur une série d’interludes et de vignettes existentielles (I Don’t Recognise My Hands, In Your Mind, Please Leave Me Alone) et quasi autobiographiques, qui renforcent la dimension introspective de l’œuvre.
L’ultra talentueuse Emma-Jean Thackray signe ici son album le plus audacieux à ce jour
Somme toute, Weirdo (2025) est bien plus qu’un album. C’est une déclaration d’indépendance artistique, un autoportrait dissonant et beau, un manifeste queer et fièrement hors-norme. L’ultra talentueuse Thackray signe ici son album le plus audacieux à ce jour, un joyau à la fois hybride, drôle et bouleversant, à la croisée de l’ombre et de la lumière intérieures.
Something Wrong With Your Mind / Weirdo / Stay / Let Me Sleep / Please Leave Me Alone / Save Me / Maybe Nowhere / What Is The Point / Black Hole (avec Reggie Watts) / In Your Mind / Tofu / Fried Rice / Where’d You Go / Wanna Die / Staring At The Wall / I Don’t Recognise My Hands / It’s Okay (avec Kassa Overall) / Remedy / Thank You For The Day
Arnaud G. Veydarier : arnaudgveydarier@gmail.com / Facebook / twitter
Arnaud G. Veydarier est un guitariste formé en musicologie à l’Université de Montréal. Son parcours reflète un intérêt profond pour le jazz, la musique contemporaine et les croisements entre musique et urbanité. Après plusieurs années passées à œuvrer dans le milieu culturel, il se consacre désormais à l’urbanisme, tout en continuant de prendre la scène au sein de divers ensembles. Vous pouvez le retrouver ici toutes les deux semaines dans ses critiques d’albums où il explore les nouvelles formes du jazz contemporain. Pour voir toutes ses chroniques, c’est ici