
Le 16 avril dernier (2023), le pianiste Ahmad Jamal est décédé, à l’âge de 92 ans. Je rappelle, pour l’anecdote, que c’est le pianiste dont Miles Davis a dit qu’il jouait du piano « the way it should be played ». C’est mon ami Justin qui m’avait introduit à sa musique, il y a presque vingt-cinq ans; c’était le trio des années cinquante, le légendaire disque enregistré en public au Pershing Lounge (Live At The Pershing) , contexte idéal pour cette musique s’il en est un : le lobby-bar d’un hôtel de Chicago, un voyage dans le temps total, faisant entendre, en plus de la musique, le bruit des verres qui s’entrechoquent et ceux de la caisse enregistreuse, sans oublier celui d’une foule bruyante qui ne manque pourtant pas d’attention.
On savait y faire pour passer du bon temps les jeudis soirs dans la Chicago des fifties.
Live At The Pershing – un répertoire parfait : Moonlight In Vermont, Poinciana et plusieurs autres
Un répertoire parfait, (Moonlight In Vermont dans sa version définitive; Poinciana, pièce souvent reprise par d’autres mais sans vraiment en reproduire le charme envoûtant) un time feel impeccable, des arrangements orchestraux précis (rares chez les piano-trios à l’époque – même de nos jours) et, surtout, ces longues mesures où Jamal fait acte d’abstention – il savait mesurer ses effets – qui gardent l’auditeur attentif; par peur d’en manquer une peut-être, ou simplement à cause du vertige créé par ces silences; plus probablement, grâce à la valeur ajoutée à la parole de celui qui se tait au bon moment. De celui qui sait.
Ahmad Jamal est identifiable dès la première note
L’homme aura joué jusqu’à la toute fin de sa vie. Endisquant de manière soutenue, sur six décennies (!), jamais il n’aura laissé son essence originelle se travestir ni se soumettre aux diktats de la mode: Ahmad Jamal est identifiable dès la première phrase mélodique entendue, et ce pour quiconque l’a écouté un minimum. On songe ici aux grands écrivains ou aux grands peintres; sa manière est évidente et reconnaissable.
L’impression de connaitre personnellement les artistes dont l’œuvre m’est chère
Il y a ce sentiment, pour vous aussi peut-être: l’impression de connaitre personnellement les artistes dont l’œuvre m’est chère, ceux à qui je dois ces endroits sûrs où je me sens toujours bien; ceux avec qui la sensation d’être en lien pour vrai est tangible et indiscutable, je l’ai écrit quelque part à propos de Keith Jarrett. J’ai beau savoir que cette impression est trompeuse, elle persiste et se révèle plus forte lorsque l’un de ces artistes décède. L’écoute du disque At The Pershing ce soir, pour me recueillir, ne m’éloigne pas d’Ahmad Jamal (qui vient pourtant de mourir), au contraire: j’ai même l’impression d’avoir été présent lors de l’enregistrement du Pershing tant je le connais par cœur (impossible pour moi d’avoir été là, en ce jeudi 16 janvier 1958 puisque je ne naîtrais que quinze ans plus tard) et d’avoir, pour me consoler, des souvenirs partagés avec Jamal; et qu’en fait certains sons de verres à cocktails entrechoqués entendus sur le disque sont ceux de mon verre à moi.
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Ce texte du musicien, réalisateur, arrangeur, multiinstrumentiste et poète Joss Tellier est un collaboration spéciale avec la Librairie Résonance.
Cette librairie de la rue Beaubien est dédiée aux livres sur la musique dans tous les genres et possède une collection pas piquée des vers en Jazz et Blues.
Bonne lecture musicale !
Joss Tellier et son chat
Librairie Résonance
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Montréal, QC, H2S1P8
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